Comment la réalité virtuelle peut-elle transformer l’industrie de la mode ?

Comment la réalité virtuelle peut-elle transformer l’industrie de la mode ?

Entretien avec Marie Raccuglia.

fille avec un casque de réalité virtuelle
17 févr. 2022
Logo Fashion Green Hub

La réalité virtuelle (VR) se développe à grande échelle, et ses usages se déploient dans de nombreux domaines, notamment thérapeutiques. Mais qu’en est-il de ces usages dans l’industrie de la mode ?

Quels bénéfices l’industrie de la mode peut-elle tirer des usages de la réalité virtuelle ?

L’expérience client est devenue le Graal des entreprises d’aujourd’hui, afin de faire de la vente en ligne une véritable expérience émotionnelle pour fidéliser ses clients. L’expérience client est d’autant plus cruciale dans le secteur de la mode où les freins à l’achat en ligne sont nombreux. C’est le cas notamment pour l’impossibilité d’essayer un vêtement ou de pouvoir le toucher.

D’après une étude menée en France en juin 2021 par Klarna [1], leader mondial des services de paiement et d’achat, la majorité des Français favorise toujours les boutiques physiques pour réaliser leurs achats. 52% d’entre eux achètent en boutique au moins une fois par semaine, mais seulement 19% via le web. Pourtant, 29% des consommateurs français interrogés comptent réaliser leurs achats en ligne à l’avenir.

L’achat en ligne est stratégique pour les marques de mode éthiques et écoresponsables, dont la croissance et la pérennité reposent majoritairement sur les ventes en ligne.

En effet, les marques éthiques sont souvent de « jeunes marques » avec une trésorerie limitée. En choisissant une répartition des coûts plus justes, ces marques éthiques génèrent généralement moins de bénéfices qu’une marque traditionnelle. Cette réalité économique ne leur permet pas d’investir financièrement dans une boutique physique. Ainsi, la croissance et la pérennité de ces marques éthiques et écoresponsables reposent essentiellement sur les ventes en ligne.

C’est pour trouver des solutions à cette problématique que Fashion Green Hub organise les 9 & 10 décembre 2021 les Fashion Tech Days, deux jours de conférences dédiés à la mode virtuelle.

Durant les Fashion Tech Days, de nombreux experts témoigneront de leurs expériences et proposeront des solutions pour faire de la mode virtuelle un véritable levier de croissance pour les entreprises de mode.

Marie Raccuglia interview

Marie Raccuglia

À cette occasion, Marie Raccuglia, spécialiste de l’expérience client en tant qu’UX et CX strategist interviendra le 10 décembre. Elle évoquera les impacts de la réalité virtuelle sur l’industrie de la mode via la notion d’avatar en VR.

En amont de sa présentation, nous nous sommes entretenus avec elle pour passer en revue ce que la réalité virtuelle peut bouleverser dans l’industrie de la mode.

La réalité virtuelle : un outil puissant pour soulever les freins à l’achat de mode en ligne.

Selon Marie Raccuglia, la réalité virtuelle peut soulever les freins du taillant à l’achat en ligne. Le taillant concerne les spécificités morphologiques de tout à chacun. C’est parce que le client ne connaît pas les spécificités de taille d’un vêtement qu’il hésite à l’acheter en ligne. À l’heure actuelle, le guide des tailles n’est pas assez efficace pour rassurer tous les clients.

Ressentir la texture, le tombé, l’épaisseur, la fluidité d’une matière à distance devient possible avec la réalité virtuelle.

Lors de sa conférence, Marie Raccuglia explique comment la réalité virtuelle bouleverse la notion d’avatar. Si, dans l’univers du jeu vidéo et de la 2D, l’avatar reste une représentation imagée de soi, dans la réalité virtuelle l’avatar devient un prolongement de soi. C’est ce que l’on appelle la sensation d’incarnation propre à l’avatar VR.

Grâce à l’immersivité que permet le casque de réalité virtuelle, il n’y a plus de dissociation entre l’avatar et la personne qu’il représente puisque les interactions dans le monde virtuel sont ressenties physiquement dans le réel.

Ainsi, essayer un vêtement dans le monde virtuel ne relève plus d’habiller une poupée en ligne, mais bien de s’habiller soi à partir de sa morphologie réelle intégrée dans son avatar. Cette notion d’association entre avatar et personne réelle ouvre le champ des possibles dans le domaine de la mode.

Dans un futur proche, les cabines d’essayage pourront être remplacées par des casques de réalité virtuelle.

Marie Raccuglia cite en exemple Décathlon, qui expérimente une technologie de scan 360°. Dans ses magasins tests, l’enseigne propose à ses clients un «body scan» qui permet aux clients d’obtenir leurs mensurations précises. Cela permet de mieux choisir les vêtements qui leur correspondent. Ce body scan permet d’optimiser l’essayage. On peut d’ores et déjà imaginer, dans un futur proche, ce même body scan réalisé, non plus en boutique, mais chez soi.

Marie Raccuglia, ajoute qu’actuellement, de nombreuses entreprises développent des solutions de gants haptiques[2]. Ces gants connectés, portés à la maison, permettront de ressentir à distance la matière comme si elle était entre nos mains.
Des pop-up stores virtuels font également leur apparition. Plus besoin de se déplacer pour essayer les vêtements ! L’essayage se fait avec le casque de réalité virtuelle.
Ainsi, le virtuel s’invite dans le réel pour optimiser l’expérience client. La frontière entre réel et virtuel devient de plus en plus poreuse. Parmi tous ces exemples, Marie Raccuglia, cite également Louis-Vuitton, qui, en 2017 avait fait appel à une égérie 100% virtuelle. L’enseigne de luxe avait invité «lightning», le personnage fictif du jeu vidéo Final Fantasy, pour présenter ses sacs à main. [3]

Body scan affiche chez Décathlon
Décathlon machine pour mesurer les mensurations

L’utilisation de la VR minimise les coûts d’approvisionnement de matières premières pendant le processus de conception ». Marie Raccuglia.

Si les usages de la réalité virtuelle sont encore en cours d’expérimentation, le champ des possibles est vertigineux.
Certains créateurs, comme Dolce & Gabbana ont conçu des pièces exclusivement destinées au monde virtuel, aussi appelé pièces
NFT[4]. Ces pièces seront uniquement visibles dans le monde virtuel, si les avatars de leur propriétaire choisissent de les porter dans le métavers [5]. (Le métavers est défini par Mark Zuckerberg comme “un environnement virtuel où vous pouvez être présent avec des personnes dans des espaces numériques”).

Si certaines de ces expérimentations virtuelles pourraient paraître bien éloignées des préoccupations éthiques qui animent les membres de Fashion Green Hub, Marie Raccuglia nous rappelle que la réalité virtuelle peut aussi être un allié concret pour résoudre les enjeux d’écoresponsabilité.

Avec la modélisation 3D, la réalité virtuelle peut devenir un outil au service de l’écoresponsabilité dans la production de mode.

Pour Marie Raccuglia, la réalité virtuelle apporte des solutions concrètes, accessibles et rentables à la production de mode, notamment dans les phases de conception.

« La réalité virtuelle est de plus en plus accessible en termes d’équipement et pourrait à terme devenir plus rentable que de produire de multiples prototypes physiques. L’avantage réside dans l’efficience et la rapidité de création des prototypes. L’utilisation de la VR minimise les coûts d’approvisionnement de matières premières pendant le processus de conception. » Marie Raccuglia.

Alors que dans le réel de nombreux allers-retours coûteux et chronophages entre bureaux de style et ateliers de production sont nécessaires pour obtenir le prototype final, avec la réalité virtuelle, les coûts sont minimisés, par un processus de prototypage beaucoup plus précis et ajusté.

Lors de sa conférence au sein des Fashion Tech Days, Marie Raccuglia présentera les impacts cognitifs liés à la notion d’avatar dans la réalité virtuelle et les perspectives que ces connaissances ouvrent dans l’industrie de la mode. L’éventail des usages à imaginer avec cette technologie est prometteur. Avec les Fashion Tech Days, gageons que les marques de mode s’emparent de la réalité virtuelle pour en faire un outil au service de l’écoresponsabilité afin de transformer vertueusement l’industrie de la mode.

Rédactrice : Nina Helleboid

Nina Helleboid

Rédactrice indépendante, écrit sur la mode, autant dans ses aspects éthiques, technologiques que sociologiques.