Fabriquer local, la solution pour une mode plus verte ?

Fabriquer local, la solution pour une mode plus verte ?

fabrication locale
28 janv. 2022
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Quand on m’a proposé d’écrire sur la notion du local, je me suis d’abord demandé si c’était encore une nouvelle tendance adoptée par la mode pour se rendre plus responsable.

En effet, après la seconde main, le vintage, la slow fashion, l’upcycling, le recyclage, et j’en passe, la mode n’arrête pas de créer des solutions pour essayer de ne plus être l’une des industries les plus polluantes, poussée en cela par des consommateurs de plus en plus exigeants.

Le local est un concept de plus de 1500 ans

A priori le localisme est une notion qui ne date pas d’hier. En effet, au Moyen-Âge en Russie il existait des communautés paysannes locales et autonomes. C’est également un peu le principe du kibboutz israélien, créé en 1909. En Occident, la tendance localiste se développe aux États-Unis dans les années 80, en réponse à la pollution générée par l’agriculture intensive qui de plus nuit aux petits exploitants agricoles. Selon le Petit Robert le localisme, le lieu, désigne un mode de vie qui privilégie la consommation de produits locaux. Au XXIe siècle, être localiste est un moyen pour certains de privilégier l’emploi local et préserver l’environnement grâce à la réduction du transport de marchandises, et de favoriser la cohésion sociale ainsi que l’économie de proximité.

En France, il semblerait que la consommation de produits locaux, notamment alimentaires, ait connu un bond durant le premier confinement. Coupés des autres, à la fois plein d’espoir et d’interrogations sur le « monde de demain », les Français ont passé beaucoup de temps à se nourrir, et vouloir se nourrir bien et mieux, en achetant des produits cultivés à moins de 250 kilomètres de chez eux, sans trop d’intermédiaires. C’est aujourd’hui en train de s’étendre à l’électricité, aux fleurs, et ce qui nous intéresse ici, au textile.

Consommer la mode de façon locale et en circuit court est-il possible, alors qu’actuellement plus de 80% des biens textiles sont importés ?

L’émergence de marques bleu/blanc/rouge (Le Slip français, les jeans 1083…) laisse à penser que oui. Certains ajouteraient que nous avons les moyens pour le faire. Face aux nouvelles préoccupations des consommateurs, la mode se réinvente. La crise sanitaire que nous traversons, et avant elle l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh, ou encore plus récemment le traitement infligé aux Ouïghours dans les usines en Chine, nous ont fait prendre conscience que tout le système était à revoir, incitant les acteurs de l’industrie textile à repenser leur manière de fonctionner.

fabrication locale couture

Une pandémie favorable à la mode locale

La crise sanitaire en ce sens a été un déclencheur : constatant que plus aucun masque n’était fabriqué en France et que nous dépendons de l’étranger dans cette situation inédite, certains se sont mis à le coudre artisanalement pour répondre rapidement à ce problème. Fashion Green Hub grâce à son atelier a commencé à concevoir des prototypes. L’objectif est de comprendre les critères à prendre en compte pour protéger au maximum du virus. Parallèlement, des industriels ont vu l’urgence de s’impliquer, comme Eminence qui mobilise une centaine de salariés dans deux de ses usines à Aimargues et Sauve pour répondre aux commandes toujours plus nombreuses (en avril 2020, 8000 masques par jour sont produits dans le Gard).

À Roubaix s’ouvre un atelier dans une ancienne usine de chaussettes pour fabriquer des masques. La société Résilience fait travailler d’anciennes couturières et des salariés en insertion. Elle a investi dans une centaine de machines à coudre. Aujourd’hui, cela permet de confectionner des t-shirts et autres produits pour des grandes marques d’habillement comme Décathlon ou Jules. L’atelier compte aujourd’hui 120 personnes dont une quarantaine en CDI. Première bonne nouvelle : fabriquer local peut donc créer des emplois.

Un territoire riche en matière et en savoir-faire

On se souvient que la France abritait de nombreux berceaux de productions : la région Rhône-Alpes, les Vosges, le Nord-Pas-de-Calais, et était riche de savoir-faire ancestraux, la dentelle à Calais, les Canuts à Lyon… En France on sait aussi bien tisser, filer, teindre, confectionner, ennoblir et l’on a encore la capacité de transmettre ces précieux savoir-faire.

Les fabricants qui avaient délocalisé rouvrent des usines ou les modernisent. Par exemple Petit Bateau, à Troyes, pour créer une plateforme régionale de production à la demande. Ou encore Fashion Cube (regroupant Jules ou Pimkie) et son projet d’ouverture d’usine dans le Nord pour produire des jeans. Plutôt que de parler de localisme, devrait-on dire relocalisation finalement…

La France, premier producteur mondial de lin avec 100000 hectares de cultures en Normandie et dans le Nord. Elle envoyait jusque-là 80% de la matière première en Chine pour la faire filer. Nous n’avions plus aucune infrastructure capable de le faire sur le territoire français. Lacune désormais comblée en Alsace par la création d’une filature qui produit 120 tonnes de fibres de lin par an. Par ailleurs, elle consomme moins d’eau et de produits phytosanitaires que si elle travaillait le coton.

ordinateur écran blanc

Des certifications garantissent le made in France

Des plateformes en ligne recensent désormais les marques qui fabriquent en France (Ma boutique française, WeDressFair…). De plus, le consommateur peut se référer au label « France Terre Textile » ou au label « Origine France Garantie ». Ces certifications assurent la traçabilité d’un produit sur l’ensemble de ces étapes de fabrication. Par ailleurs, un article est paru au sujet du Made in France, n’hésitez pas à le consulter.

Cette relocalisation de fabrication d’habillement et de textile au plus proche des lieux de consommation est soutenue par le plan France relance mis en place par le gouvernement dès 2020. S’habiller local devrait donc être un jeu d’enfant. En théorie peut-être.

En effet, tout ne peut pas se faire en France : la culture du coton notamment (même si des expériences ont été faites dans le Gers) qui nécessite des conditions météorologiques particulières ou des infrastructures et investissements coûteux et polluants. Il vaut peut-être ainsi mieux produire le coton de matière raisonnée et biologique là où il pousse le mieux. La Tanzanie par exemple pour la marque française 1083.

Idéalement à quoi devrait ressembler un produit textile complètement local ?

Matières locales pour fabrication

Il serait composé de lin, de chanvre (en France on produit aujourd’hui la moitié du chanvre européen) ou d’ortie par exemple (autrefois utilisé pour fabriquer du textile) et ce jusqu’à l’ourlet. Un produit textile local ne contiendrait pas d’élasthanne (dérivé du pétrole) -adieu confort-. Il serait teint de naturellement avec des plantes cultivées en France et serait entièrement pensé, coupé et assemblé dans l’hexagone…

Ces exigences ont un coût : un tee-shirt produit à des millions d’exemplaires à l’autre bout du monde par une main-d’œuvre bon marché ne vaut pas le même prix qu’un tee-shirt fabriqué en quantités limitées en France où il existe des standards sociaux.

 

La production à la demande : une solution pour réduire les coûts

Pour remédier à ce frein que représente le prix pour beaucoup de consommateurs, des solutions se mettent en place. En Bretagne, trois Malouins ont par exemple créé 3D Tex. C’est une usine de tricotage 3D quasi-zéro déchet : de la conception virtuelle du pull à sa fabrication, tout est automatisé. Cela permet de réduire les coûts en matières premières et en personnel, de produire à la demande. Par conséquent de proposer aux marques un pull made in France écoresponsable au coût de production accessible. Et donc de mise sur le marché à prix abordable.

En effet, la production à la demande est aussi une piste à suivre pour réduire les coûts. Jusque-là en achetant un vêtement on payait aussi la fabrication de tous les autres. Mais, ces derniers finissent bien souvent détruits ou vendus en soldes. Néanmoins, la loi antigaspillage qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022 interdira la destruction des produits non alimentaires invendus. Sans compter que le stockage coûte cher. Certaines marques font donc le choix de réduire leur offre. C’est le cas du groupe Boohoo qui fait du « test and repeat ». Cela permet de relancer la fabrication de pièces en réassort en cas de ventes concluantes.

D’autres comme Promod ou Maison 123 se lancent dans la production à la demande. De son côté, le CETI (Centre Européen des Textiles Innovants) met en place « On demand for good ». C’est une plateforme permettant aux entreprises de trouver des solutions pour lutter contre le gaspillage.

Puisque certaines matières premières ne sont pas cultivables en France et que l’on assiste en ce moment à une pénurie et donc à une flambée des prix du coton, du lin et du polyester, n’est-il pas possible de réutiliser celles déjà existantes ?

La collecte de textiles usagés s’est généralisée ces dernières années, hélas pas toujours de manière vertueuse. Plutôt que de les revendre à bas coût à l’autre bout du monde, ou transformer des tee-shirts en coton en isolation pour nos combles, on commence à comprendre qu’il est plus judicieux d’organiser cette filière du recyclage et de le valoriser afin de bénéficier d’un panel de matières à utiliser de manière locale.

 

Le local : une solution miracle

Le localisme apparaissant aujourd’hui comme la solution miracle pour ceux qui plébiscitent une mode durable et responsable, c’est devenu naturellement un argument de vente pour des marques peu scrupuleuses qui affichent les trois couleurs comme une preuve de leur bonne foi. La notion Made in France fleurit un peu partout mais ne garantit pas que 100% des étapes de fabrication ont été réalisées en France (la matière provient dans la plupart des cas de l’autre bout du monde, seul l’assemblage est réalisé dans l’hexagone). Pour d’autres qui ont repris le terme à leur compte, le localisme est aussi synonyme de refus du métissage et de la mondialisation. 

 

Le local est-il une tendance ? 

Consommer une mode locale a pu apparaître au départ comme une tendance, sans doute prédite par les bureaux de style, et qui laisse place à la suivante sitôt la saison passée. Au regard des investissements réalisés, il semblerait que la production locale de textile, et donc une réindustrialisation sur les territoires français, pourrait devenir si non la nouvelle norme, au moins un modèle économique complémentaire à cette production de masse que nous connaissions, accélérée par le contexte sanitaire ayant engendré des difficultés d’approvisionnement, des frais de transport, des coûts humains.

Comme souvent désormais, les consommateurs font bouger les lignes en faisant de leur acte d’achat un acte citoyen. Ils poussent ainsi les industries à repenser leur modèle et à se réinventer.

Il était certes bien temps que la mode se remette en question. Il faut revaloriser des savoir-faire uniques. Des initiatives locales émergent un peu partout après 40 ans de décroissance du textile français. Le secteur recrute à nouveau, forme, modernise son appareil de production, investit et innove. En ceci consommer local s’avère être un acte social et citoyen fort. Pour qu’elle soit durable, la production d’une mode locale doit peut-être aussi se penser de manière globale et circulaire. Et cela de la conception à la fin de vie du vêtement.

Merci à Marc Grosclaude, journaliste à la Voix du Nord d’avoir pris le temps de répondre à mes interrogations et de m’avoir apporté son éclairage.

Rédactrice : Anne Hory Forest

Rédactrice Anne Hory Forest