Ernest, Jacques & Fils à Lille : “Le privilège de boire du temps”

Ernest, Jacques & Fils à Lille : “Le privilège de boire du temps”

À la découverte d'un caviste pas comme les autres...

Denis, le responsable de la boutique Ernest, Jacques & Fils

Si Don Draper, le célèbre pubard accro au bon whisky de la série Mad Men, était de passage à Lille, il ferait sans aucun doute un stop chez Ernest, Jacques & Fils.

Ouverte en février dernier au coeur du Vieux-Lille, cette nouvelle boutique est bien plus qu’un endroit où acheter de l’alcool* : c’est une véritable cave aux trésors pour les amoureux des spiritueux.

Whisky, cognac, rhum, gin, armagnac... ici, vous trouverez des bouteilles parfois uniques et en tout cas toujours exceptionnelles, toutes dénichées par Denis, le responsable des lieux. Rencontre avec ce passionné pour qui les spiritueux n’ont plus de secrets...

Comment est né Ernest, Jacques & Fils ?

Il y a presque 8 ans j’ai commencé à travailler dans le milieu des bars à cocktails et par mes expériences, je me suis intéressé de plus en plus aux spiritueux. Mais le déclic est venu quand j’ai eu la chance de rencontrer Clément Richevaux (chef de cuisine du restaurant bistronomique Chez Brigitte) qui, à ce moment-là, était manager de la boutique Liquors Company, rue de la Clef à Lille.

C’est vraiment de là qu’est née ma passion pour les spiritueux. J’ai continué à creuser là-dedans et en parallèle, j’ai fait une formation sur Paris grâce à laquelle j’ai rencontré un formateur exceptionnel.

Ensuite, j’ai intégré les équipes de Chez Brigitte, en tant que barman puis en tant que responsable de salle. De fil en aiguille, Clément et moi avons commencé à discuter d’un projet commun et ce projet commun est devenu Ernest, Jacques & Fils.

Façade de la boutique Ernest, Jacques & Fils

Quel est le concept de ce projet ?

Ernest, Jacques & Fils, c’est une boutique de spiritueux à Lille, c’est à dire que nous ne vendons que des produits distillés et aucun produit fermenté. Nous sommes sur du 100 % point de vente mais nous avons aussi lancé une partie dégustation avec des privatisations en soirée. L’idée est d’accueillir des événements privés sur des thématiques différentes autour de la découverte de produits mais aussi d’accords entre mets et spiritueux. C'est comme une soirée dans un bar sauf que là, techniquement, tu sais exactement ce que tu bois. C'est ça la grosse différence : on t’explique ce qu’il y a dans ton verre.

Quelle est la singularité de votre boutique ?

C'est toute la partie vintage puisque nous avons des produits qui vont de 1930 à aujourd’hui. Donc des bouteilles qui sont complètement hors du temps, qui ont patienté des années et des années pour qu'on les boive. J’ai toujours un intérêt à proposer ce genre de produits, mais surtout à savoir en parler parce que je les ai goûtés. Il y a certaines bouteilles que je ne laisserai pas partir sans en avoir moi-même profité et certaines que je préfère mettre en dégustation ici pour que, justement, on puisse en parler et échanger sur ce type de spiritueux avec les clients.

Photo des produits sur les étagères de la boutique Ernest, Jacques & Fils

La relation avec le client est donc centrale pour vous ?

L'idée était de faire une cave intimiste où tout est axé sur le conseil et la discussion. Ce qu’on ne souhaitait pas, c’était faire un endroit dans lequel tu rentres en sachant exactement ce que tu vas acheter. C’est pour ça que nous avons imaginé un espace tout en hauteur, avec un genre de foutoir organisé : pour que les gens comprennent qu'ils sont au bon endroit et qu’en même temps, ils soient complètement perdus.

Ce que je cherche à susciter, c’est l’interaction avec le client. Je ne veux pas qu'ils prennent une bouteille juste parce qu'elle paraît jolie. Je veux surtout qu'ils puissent sortir des sentiers battus. À la limite, j'aime bien partir à l'inverse de ce que la personne me demande, tout en restant forcément sur une ligne directrice, mais en essayant de proposer des produits vraiment insolites.

La boutique en elle-même est déjà insolite...

Tout à fait, on a voulu faire une boutique un peu à l’image de celle d’Ollivander, la boutique de baguettes magiques dans Harry Potter. Chez Ollivander, ce n’est pas toi qui choisis la baguette, c'est la baguette qui te choisit et ici c'est la même chose pour les bouteilles. Ça fonctionne au coup de cœur.

Etagères de la boutique Ernest, Jacques & Fils

Quels sont vos produits phares ?

Il n’y en a pas vraiment, ici on est plus sur des catégories. L’entrée de gamme sera forcément du très bon rapport qualité prix qui passe un peu sous les radars des cavistes, mais qui est issu de notre expérience, à Clément et à moi, en hôtellerie et en restauration.

Mon milieu de gamme concernera plus des choses insolites avec lesquelles nous essayons de sortir des sentiers battus - même si nous allons parfois coller à la gamme d'autres cavistes, puisqu’ils proposent aussi des produits qui sont incroyables avec lesquels je voulais absolument travailler.

Et après, sur le haut de gamme, nous serons plus sur des millésimes vintage et prestige. Mon objectif c’est que n’importe quel client trouve facilement son année de naissance ici. Ça coûte ce que ça coûte, ça prend le temps que ça prend aussi pour la trouver mais c’est un but auquel je tiens.

Photo des bouteilles vintage de chez Ernest, Jacques & Fils à Lille

Qu’est-ce qui fait un “bon” spiritueux ?

Je crois que c'est surtout un moment. En fait, c'est surtout le moment où tu décides de le déguster et avec qui tu vas le déguster. Je crois que c'était Paul Bocuse qui disait “mieux vaut une piquette avec des amis qu'un grand vin avec des conn**ds”. C'est le même concept pour un spiritueux.

Tu peux avoir un whisky de chevet, ou, en tout cas, le genre de bouteille que tu peux tuer en en profitant avec des potes sans même avoir besoin d'en parler. Mais tu peux aussi célébrer un moment particulier en sortant une bouteille d'exception, avec laquelle il va falloir prendre le temps d’en discuter et pourquoi pas, envisager le cigare ou le met d'exception qui va avec.

Photo de produit chez le caviste Ernest, Jacques & Fils à Lille

Comment chine-t-on des bouteilles et des alcools vintage ?

C’est beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Du temps, des ventes aux enchères, des recherches, du réseau, des rachats de stock, des gros coups de chance et aussi des désillusions parce que parfois, à 10 € près, une vente aux enchères, peut être loupée.

Quel est votre type de clientèle ?

Ça va de la personne de 20 à 30 ans qui cherche à améliorer sa boisson de soirée et qui a envie d’aller un cran au-dessus pour découvrir des choses différentes à la personne qui a déjà une connaissance solide, autant en termes de whisky que de rhum et qui a envie d'élargir sa collection. Ça peut aussi être une personne qui recherche quelque chose de très précis donc dans ce contexte, j'essaie à tout prix de me rapprocher le plus ou de correspondre au maximum à la demande. Et enfin, il y a aussi des personnes très très très connaisseuses qui, pour le coup, peuvent être amenées vers des produits très pointus.

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette activité ?

Je vais reprendre une phrase d’un de mes formateurs : “les spiritueux, c’est vraiment le privilège de boire du temps”. C'est juste hallucinant de pouvoir se dire que nous, on se paie le privilège, sur un court moment de détente, de profiter d'un truc sur lequel beaucoup de personnes ont travaillé.

Il y a le fait de se dire qu’il a fallu faire preuve de patience pour arriver à un produit aussi fini, aussi mature. Un spiritueux a cet avantage d'avoir une quasi-immortalité : le produit ne tourne pas, il est stabilisé. Contrairement au vin qui, lui, pourrait atteindre son apogée et ensuite décroître, un spiritueux décroît très très lentement mais sera quasiment, jusqu'à terme, tout le temps buvable. Donc avec le temps, si une bouteille a vraiment été conservée de la façon la plus optimale, on pourrait tout à fait envisager de la boire 380 voire 400 ans après.

Bouteille vintage de chez Ernest, Jacques & Fils à Lille

Vous vous êtes inscrit récemment sur Dailyn, qu’attendez-vous de l’application ?

Ce que j’attends vraiment c’est d’emmener mes clients sur la messagerie instantanée, qui offre cette facilité de discuter avec eux. Je n’ai pas du tout envie de créer un site internet parce que moi-même, en tant qu'amateur, ça a toujours été une frustration d'aller me balader sur des sites qui sont, somme toute, vraiment bien faits mais sur lesquels les produits sont en permanence indisponibles.

Je préfère ne pas avoir de référencement en termes de site et jouer avec mes références qui rentrent et qui sortent. Car parfois je n’ai qu'une seule bouteille en stock et je ne vois pas l’intérêt de mettre en avant ce genre de produit : cela qui risquerait plus de créer de l’insatisfaction qu’autre chose pour des clients qui le verrait directement en archive. C'est pour ça que je préfère la solution d'interaction directe, pour pouvoir avoir une vraie discussion. C'est primordial pour un commerçant de quartier.

*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.